LA JOLIE FEMME EN PRISON.
Madame H….. est une jolie femme qui dirigeait un atelier de couture achalandé. La guerre lui fait des loisirs. Le dimanche où passèrent les prisonniers de Frise, bousculée par un gendarme, elle le traita d'idiot. Le butor l'empoigna et la mena sans grâce à la kommandantur. Passant devant chez elle et voyant sa mère sur le pas de la porte, elle lui dit: - Ne te frappe pas: je suis arrêtée par cet imbécile. Préviens Boden. Boden était l'officier qu'on logeait et qui se montrait aimable. Et, de fait, Boden découvrit un fiacre – le seul, celui des enterrements – et alla pour chercher Madame H… à la prison où elle ne faisait que d'entrer. - Il y a erreur, dit-il. Mais le gendarme sans pitié avait exigé quinze jours de prison pour sa cliente et, comme les gendarmes sont tout-puissants, il les avait obtenus, et Boden fut tancé de la belle manière et menacé du front!… On l'exila seulement à Bohain.
Madame H…, prenant son parti de l'aventure, avait envoyé le fiacre chercher quelques nippes. Toute la nuit, elle fut mangée à puces. À 6 heures du matin entra la gardienne, qui est d'ailleurs une rosse. Madame H… ouvrit un œil. - Devant moi on se lève, dit l'Allemande. - Je voudrais de l'eau de Cologne, répondit Madame H…. Vos puces sont indiscrètes. Et elle passa un peignoir de dentelles. L'autre poussa des cris d'orfraie: - Habillez-vous plus simplement. - Je m'habille comme je peux, dit Madame H…, et j'ai oublié jusqu'ici de me confectionner des peignoirs de prison. Cela continua sur ce ton. Elle se fit apporter ses repas de chez elle, du droit qu'une jolie femme a sur l'esprit administratif de toutes les nations. Au fond, les quinze jours et surtout les quinze nuits furent très inconfortables. Arrivée à la fin de sa peine, Madame H… se mit un doigt de poudre et sortit sans direau revoir à sa chienne de gardienne qui devenait enragée.
L'ÉQUATION NOURRITURE.
Les denrées se raréfient. Il en circule d'allemandes. Ce qui prouve que «l'épicerie de guerre» a fait une paix séparée avec certains ravitailleurs français. Devant cette boutique c'était toute la journée un vrai marché. Une centaine de voitures attelées ou à bras attendaient leur chargement. Tout n'allait évidemment pas aux kommandanturs des environs. Bref, il y a un manquant de 80 000 marks de marchandise et, à la suite d'un vol important de bougies, des perquisitions sont faites dans toutes les épiceries. On ne découvre pas de bougies – bien entendu – mais on saisit pas mal de bonnes choses dont le trafic est défendu: œufs, farine, beurre, tabac, et tout cela est vendu aux enchères par les Allemands et à leur profit.
Dans la rue, les gendarmes obligent à se déchausser les gens qu'ils soupçonnent de porter des chaussures de provenance allemande, car il s'est établi tout un commerce entre soldats et habitants, et la kommandantur veut y mettre fin.
Le service des laissez-passer est transféré du Comptoir d'Escompte (kommandantur-campagne) à Old England (magasin d'habillements) et l'obtention d'un de ces papiers devient de plus en plus malaisée. La surveillance aux barrières est très étroite. Avec de l'esprit, on en sort. Notre légumière d'Urvillers nous apporte du beurre qu'elle a placé sous ses pieds – dûment enveloppé – en guise de brique à réchauffer. À la barrière, le patrouillard a voulu tâter: - Gare! Ça brûle! S'est-elle écriée, et l'autre a retiré vivement les doigts.
Dans le même style, M de Warenghien , de Douai, avait obtenu pour l'un de ses fermiers l'autorisation de venir à Saint-Quentin où il apporterait à Madame Desjardins, sa sœur, de ses nouvelles et de celles de ses fils, tous deux au front. Il lui avait remis un rouleau d'or en lui disant: - Surtout, ne te fais pas prendre. - Soyez sans crainte, Monsieur le baron, répondit le matois. Quand on le palpa et fouilla à la descente du train, notre homme mit l'or dans le creux de sa main et, tirant son mouchoir à carreaux, il se moucha et, l'agitant au nez des Allemands, il dit avec un rire niais: - C'est toujours pas dans min mouquoir qu' vous trouv'rez qué'qu'cose!
L'or fait prime de 40 à 50 pour cent. Il sert surtout à acheter du sucre qui, en ce moment, est revendu 3 francs 50 le kilogramme., tandis qu'il est cédé, moyennant 85 francs-or les 100 kilos, aux ravitailleurs par les Allemands, hélas!
En résumé, l'équation nourriture comporte de plus en plus d'inconnues, et non pas seulement pour nous, mais aussi pour la garnison. Les soldats sont avertis qu'à partir du 1er avril, le repas du soir sera supprimé; il faudra qu'ils se contentent d'une tasse de jus et d'une tranche de pain.
Et enfin, la peine de mort est promise à tout Allemand qui achèterait des vivres pour le compte des Français.
Toute cette cuisine ne fleure pas le laurier.
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