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Sous la Botte (69)

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Sous la Botte (69)

VERDUN.

Le 28 janvier, Félix Coulvier, qui avait jadis collaboré au Journal de Saint-Quentin où il exposait et discutait, non sans compétence, les questions de chemin de fer, m'arrête sur la place Babeuf et me demande à brûle-pourpoint: - Avez-vous une relation quelconque avec les gens de l'autre côté? - Vous n'y pensez pas. - Enfin, ça ne me regarde pas, mais vous pouvez leur apprendre que dans vingt-quatre jours se déclenchera une attaque formidable sur Verdun. Je ne lui demande pas, bien entendu, de qui il tient cet extraordinaire renseignement, mais je le devine. Très actif, très débrouillard, Coulvier fait du ravitaillement. Il lui faut des marks: or, il va en chercher où il sait qu'il y en a, chez de belles personnes à qui de grands chefs ne refusent même pas une confidence…

Je cours à la Sous-préfecture. M. Vittini m'écoute gravement. Au surplus, j'insiste: - Vous avez remarqué, Monsieur le sous-préfet, ces signes avant coureurs d'une opération de grande envergure: les environs se vident, l'équipage de ponts a été embarqué ce matin: on construit, à Essigny-le-Petit, un quai immense et, devant notre étonnement, les Allemands ont laissé entendre que c'était «pour très loin de Saint-Quentin.» Puis Verdun est à la fois une clef – celle de la porte qui ferme la route de Paris – et une charnière qui retient nos deux grandes masses d'armées. Enfin, c'est très sérieux. Je ne puis vous donner aucune explication. Je viens seulement vous apporter un renseignement. - Merci, dit M. Vittini.

Mon inquiétude avait fait tache d'huile et tout le mois on en causa. Pour la première fois, le fameux «secret de guerre» n'avait pas été strictement gardé. C'était difficile: ces grands mouvements de troupes, ce quai, ces rappels de Russie avant l'offensive printanière, la prise d'Erzeroum qu'il fallait pallier, l'emprunt qui s'annonçait, les hésitations des derniers neutres… À l'évidence, un grand coup se préparait. - Mais c'est une folie, s'écriait devant moi un fonctionnaire des finances qui connaissait bien Verdun et son camp retranché! Van Lierde, ancien conseiller municipal, qui, quoique parlant beaucoup, dit souvent des choses justes, répliqua: - S'ils tentent ce qui semble une folie, c'est qu'ils savent pouvoir le faire. Le hasard n'existe pas pour eux.

Nous ne respirons plus. La catastrophe s'abat lentement sur nous. Le25 au soir (nous sûmes plus tard que l'attaque avait bien été déclenchée le 21, à 7 heures du matin), l'agent Pichon, de service à la Kommandantur, accourt dire que c'y est la joie: une communication téléphonique annonce qu'au début de l'offensive, les Allemands ont fait dix mille prisonniers.

Le 26, avant midi, une dépêche affichée à la direction de l'imprimerie porte que le fort de Douaumont, au nord et l'un des principaux de Verdun, est tombé. On ne voit que visages renversés. À l'Hôtel de Ville, c'est la consternation. L'après-midi, on scrute les communiqués et il apparaît que tout n'est peut-être pas perdu… Avant le couvre feu, je fais un tour en ville, puis vais rassurer Gibert. - Monsieur le maire, nous avons des raisons d'espérer. Il paraît que l'empereur est là et il a le mauvais œil et la chose, dit-on a été montée par le vieux Haesler, le dépositaire des traditions de Moltke, surannées et coûteuses devant un adversaire à égalité. Le problème paraît avoir été mal posé. Et puis, l'attitude des officiers que j'ai rencontrés n'est nullement fanfaronne. Ce n'est pas l'animation que produit d'ordinaire une grosse nouvelle. Et enfin,dans leurs logis, les soldats laissent entendre que les pertes sont énormes. Donc, nil desperandum . - Je ne sais pas le latin, dit Gibert, mais ça me fait plaisir tout de même.

NOTULES.

Dans les «formations.» - Nous avons vu qu'une grande quantité d'ouvrières et d'ouvriers payés par la caisse municipale étaient employés par l'autorité allemande dans les divers ateliers, ambulances, cantonnements et bureaux. (Voir octobre 1915: Les ouvriers travaillant pour l'ennemi.) Le relevé de février accuse 866 hommes et 583 femmes à qui le bureau des travaux a payé 97 673 francs de salaires. Il y a une sensible diminution provenant du congédiement des ouvriers français employés à des travaux de guerre. La réclamation du maire a donc produit son effet.

Les bottes anglaises. - Le 19 février, par une pluie abominable, arrivent huit Anglais prisonniers superbement bottés. Tommy est bien nippé. Ces bottent tirent l'œil des fonctionnaires de la Kommandantur et les Anglais sont invités à se déchausse: ils croient que c'est une formalité pour la fouille et se laisse faire. Mais ils ne reverront jamais leurs bottes et la mairie reçoit l'ordre de trouver chaussures à leurs pieds. Ce ne fût pas commode, car l'article est rare. En attendant, les Anglais pataugèrent en chaussons. Et la petite cérémonie se renouvela chaque fois que des Anglais se laissèrent prendre avec de trop belles bottes.

Le bouquet du vin. - Ceci n'est pas propre, mais c'est de l'histoire. En mainte maison où le baron de Frôhwein a fait l'inventaire de la cave, il a prévenu qu'on ait pas à toucher à une seule bouteille, sinon….. punition! On y touchait tout de même: le valet de chambre enlevait des bouchons au hasard, renversait quelques centimètres cubes de vin et les remplaçait par ce que Rabelais appelle «le superflu de la boisson.» Le lendemain, le propriétaire avait le sourire quand la bande des cavistes venait enlever avec précaution, pour les tables d'officiers, son chambertin au bouquet nouveau.

Les chiens aux tranchées. - Les Allemands, sur la voie publique, captent ou réquisitionnent les chiens ratiers et même ceux qui n'ont avec les fox-terriers qu'une parenté éloignée. Ceci à cause d'une gravure de l'Illustration représentant un magnifique tableau de rats détruits par la dent des fox mobilisés dans une tranchée française. Ils vont tâcher d'imiter cette performance. Les rats sont un fléau. Ils pullulent à Saint-Quentin. - C'est tant vous êtes sales, vous, Français, ont affirmé des Messieurs professeurs.

Idiots!

«Je n'ai jamais eu de chance.» À l'Hôtel-Dieu, Madame R.J….. visite la maternité, la triste maternité, car là, les Allemands ont raison, c'est salement installé. Trois enfants viennent de naître. Madame R. J….. s'approche des mamans et cause. Pas de maris….. Mais alors, les enfants? Le mien, dit avec une certaine fierté la première, c'est un petit Français. Mais la deuxième, avec orgueil: - Le mien, c'est un petit Anglais. La troisième alors, piteusement: - Moi, je n'ai jamais eu de chance: c'est un Boche!…

Si non è vero...

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