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Sous la Botte (38)

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Sous la Botte (38)

SAINT-QUENTIN VU DE CHEZ LES ALLEMANDS.

Cela ne va pas manquer d'intérêt de savoir comme nous juge l'ennemi, le sage ennemi, et nous choisirons à cet effet une chronique du «Professeur-Docteur» Georges Wegener, «correspondant sur le théâtre de guerre de l'ouest» de la Gazette de Cologne. La ville de Saint-Quentin a largement fourni matière aux journalistes allemands. Ce qu'ils en ont écrit serait insupportable à lire maintenant, tandis que dans les articles de Wegener, il se trouve des traits et des observations qui, pour être parfois discutables, n'en sortent pas moinsd'une plume érudite, aiguisée et non pas uniformément pédante et trempée dans du fiel.

En mai 1915, il est donc à Saint-Quentin. Il fait beaucoup de littérature à propos de la Basilique et remplit des colonnes et des colonnes de son admiration passionnée pour l'immense édifice. En voulez-vous un exemple:

Cette œuvre d'art exerce sur moi un charme qui grandit chaque jour. J'assiste à la création d'une symphonie prestigieuse et unique. De même que dans le prélude de l'Or du Rhin, sortant plein de mystère du sein des profondeurs sombres, le Motiv surgit soudain, se développe en des accents de plus en plus clairs, énergiques, riches et limpides jusqu'à l'éclatement du triomphe, de même le monument se dégage des ombres obscures, toujours plus haut, plus varié, plus brillant, atteignant à une majesté sublime, à une richesse déconcertante, à des effets qui nous transportent d'allégresse et conservant toujours dans la variété des détails son thème fondamental: la ligne gothique. C'est ainsi qu'apparaît cette silhouette immense, immergée maintenant dans l'instrumentation enchanteresse de mai florissant, dans les lumières changeantes du soleil, dans l'atmosphère rayonnante du printemps.

Ces accès de lyrisme s'expliquent aussi par le fait que les correspondants de guerre ont un champ limité où se mouvoir et que le champ de bataille notamment – en dehors de l'anecdote anonyme – leur est interdit. Poursuivons:

Je séjourne à Saint-Quentin auprès de l'armée de von Bü;low. Dans le théâtre occidental de la guerre, c'était la seule ville que je ne connusse pas. Aussi bien, la visite des zones de combat d'Ypres et de celles situées entre Meuse et Moselle – à l'exception toutefois des percées qui ont été tentées récemment autour d'Arras et qi ne se trouvaient pas en question à cette époque – n'avait pas encore été permise aux correspondants de guerre. Lors de la distribution des autorisations d'usage, j'obtins l'accès du front dans cette région-ci. J'en suis, pour ma part, très satisfait, car cela m'a procuré un nouvel aperçu, en concordance avec les précédents, du puissant organisme de ces immenses unités dont se compose l'armée allemande. Dans le repose de cette guerre de positions, elles se développent et s'administrent comme une sorte d'institution guerrière de l'État.

Saint-Quentin – nos hommes parlent de la ville de Saint-Quentin comme de toutes les localités françaises en prononçant en allemand, c'est à dire Sankt-Quintin (e), et nos officiers ont la même habitude – Saint-Quentin est le chef-lieu d'un arrondissement de l'Aisne et, par ses 56 000 habitants avant la guerre, est la ville la plus importante du département. C'est une localité très vivante, avec des fabriques de produits réputés de laine et de coton, de châles, de broderies, des ateliers de toutes sortes et des fabriques de sucre. C'est un outre, le centre de la grande zone industrielle des environs. Et dans cette guerre, malgré les combats violents autour de la ville et dans la ville même, ses bâtiments, à ce que j'ai pu voir, n'ont nullement souffert. Les habitants se sont enfuis en bien moins grand nombre qu'ailleurs et sa situation assez éloignée du front l'a préservée, plus que beaucoup d'autres, des vicissitudes de la guerre. Parmi les villes françaises que nous occupons, c'est une de celles qui ont le plus conservé le caractère particulier de la vie française.

Les souvenirs d'une histoire intéressante dans le passé et dans le présent, de beaux monuments, des installations très variées et remarquables en font comme un petit miroir de l'état actuel de la France occupée.

Le journaliste allemand a été logé dans une maison de la rue du Gouvernement dont le jardin donne sur la Basilique.

En bas jouent en ce moment les deux fillettes, aux cheveux d'un blond flamand, de la famille qui habite la maison et avec laquelle nous n'avons d'autres rapports que les «bonjour, bonsoir» de politesse. Le père est à la guerre, et dans sa petite voiture est couché le troisième enfant qu'il n'a pas encore vu. La mère nous en fait la confidence pleine de reproches et nous lui répondons que nous étions à même de comprendre son chagrin, beaucoup de pères et de mères étant dans le même cas chez nous. Le vieux grand-père, maigre, paraissant sourd, travaille dans son jardin pendant des heures; il ne nous connaît pas et ne semble pas voir avec plaisir que nous nous occupions de ses petites-filles. Il en est tout autrement de celles-ci: quelques questions plaisantes et des tablettes de chocolat nous ont vite fait lier connaissance. Elles rient, nous montrant leurs poupées aux têtes ébouriffées tout comme celles d'Allemagne et jouent à cache-cache avec nous dans les coins de la maison. Tout à coup, pendant que le merle siffle, un bruit sourd et lointain retentit, un bruit que tout le monde ne connaissait pas il y a quelque temps, mais que nous connaissons tous si bien maintenant, un bruit sombre comme le grondement sourd du tonnerre, mais cependant tout autre, dur, irrité, menaçant. Il s'approche, devient si élevé qu'il fait tout trembler dans le jardin silencieux, puis s'éloigne et se rapproche encore. Il résonne tantôt d'ici, tantôt de là, d'un son sinistre, surnaturel, gros de danger. La femme de chambre sort de la maison et fait rentrer les enfants. Et maintenant, c'est au-dessus de nous un bourdonnement de plus en plus puissant et rapide; soudain, une grande ombre glisse sur la surface ensoleillée du balcon: c'est un avion qui tournoie là-haut. Déjà, le son spécial du moteuravait indiqué aux connaisseurs que c'était un allemand et maintenant nous le reconnaissons bien comme tel. Cela nous rassure; il vient souvent des aviateurs ennemis jusqu'ici et on ne les voit pasprécisément volontiers au-dessus de sa tête.

Wegener parle longuement du «passé historique» de Saint-Quentin et revient toujours à la Basilique:

Il y avait justement salut du mois de mai lorsque j'entrai. On dit le salut tard dans l'après-midi au lieu du soir, parce que tous les habitants de Saint-Quentin sont tenus d'être dans leurs maisons à partir de 8 heures. L'autel était garni de fleurs et de branches fraîches. Un prêtre au timbre de voix magnifique lisait les prières et une foule nombreuse de fidèles agenouillés, parmi lesquels quelques jeunes filles très belles, blondes et sveltes, sussurait les répons; et, disséminés au milieu de l'assistance, confondus sans préjugé, comme ils le font toujours dans les services divins, avec la population qui du fond du cœur priait sûrement avec ferveur contre nous, un grand nombre de nos guerriers priaient avec une foi et une ferveur non moins grandes.

Dans le pourtour, derrière le chœur, une statue moderne de la Pucelle d'Orléans est adossée à un pilier. On se rend compte aujourd'hui qu'elle est considérée comme une sainte nationale, comme le symbole de la délivrance: son socle est constamment orné de fleurs nouvelles et les génuflexions sont nombreuses devant elle.

Puis Wegener décrit le Monument de 1557 et fait cette remarque amusante:

C'est un sujet d'étonnement que le nombre considérable de monuments élevés par la France à ses ….. défaites! C'est là franchement une spécialité des Français. Ils s'entendent supérieurement à glorifier leurs insuccès d'une façon si pathétique qu'ils en font comme une des sources de leur orgueil national. Déjà, le plus ancien monument poétique de la littérature française, la Chanson de Roland, est une glorification semblable d'une défaite, l'extermination de l'arrière-garde de Charlemagne dans les Pyrénées.

Wegener continue:

Justement le nom de Saint-Quentin se trouve également associé aux défaites françaises. Le 19 janvier 1871, Goeben anéantit à Saint-Quentin l'armée du Nord, commandée par Faidherbe. À la comparer numériquement, cette bataille de Saint-Quentin fut assez semblable à celle de 1557, sauf que l'infériorité numérique était ici du côté du vainqueur: 32 600 Allemands contre 40 000 Français. La guerre actuelle a été l'occasion de nouvelles batailles devant Saint-Quentin. À l'époque de la guerre de mouvements, deux grands événements se sont succédé de très près. C'était dans ces journées du mois d'août dernier où les messages de victoire se suivaient sans nombre et sans répit. Nos armées se trouvaient alors entraînées à des actions toujours nouvelles dans un élan si impétueux et si puissant que les impressions se chassaient l'une l'autre. Bien qu'il s'agit de masses d'armées qui reléguaient complètement dans l'ombre les proportions des précédentes batailles de Saint-Quentin, nul ne trouvait alors le temps d'en observer tous les détails.

Le 28 août, notre commandement d'armée publia cette courte nouvelle: «L'armée anglaise, à laquelle s'étaient jointes trois divisions françaises de territoriale, a été complètement battue au nord de Saint-Quentin et se trouve en retraite au-dessus de cette ville. Plusieurs milliers de prisonniers, sept batteries de campagne et une batterie lourde sont tombés entre nos mains.» Et le 31 août encore, il est dit, en langage lapidaire: «L'armée du général en chef von Bü;low a complètement battu une armée française près de Saint-Quentin; elle avait déjà, dans sa marche en avant, fait prisonnier un bataillon d'infanterie anglaise.» Ce n'est que plus tard que l'histoire de la guerre nous apprendra comment ces événements se sont accomplis exactement; ici même, sur place, auprès des officiers de l'armée de Bü;low, je n'ai pu apprendre que très peu de chose, et pour cause. Les chefs eux-mêmes et quelques officiers de l'état-major d'alors ont été naturellement renseignés sur ce sujet. Aucun de ceux que j'interrogeai ici ces jours derniers ne put me donner des renseignements approximatifs ni sur la marche, ni sur l'emplacement des combats qui, comme toutes les batailles de cette guerre, se développèrent sur des régions entières. D'après ce que j'ai entendu dire, il ne s'agissait pas là, à proprement parler, de faits de guerre isolés de l'ensemble stratégique; ces combats faisaient partie intégrante de la grande poussée farouche de l'offensive allemande déchaînée sur la France comme une énorme marée montante. Ici et là, et partout, m'a-t-on raconté, les différentes parties de nos armées d'attaque se précipitèrent sur les armées que l'ennemi lui opposait et, dans un assaut irrésitible, les jetèrent par terre.

























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