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Sous la Botte (125)

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Sous la Botte (125)

DES NOUVELLES DE SAINT-QUENTIN.

Mais nos esprits nous reportent invinciblement à Saint-Quentin. Nous recueillons toutes les nouvelles qu'on en peut avoir.

Le 14 mars, Edmond Poulain, le secrétaire de la Chambre de Commerce, arrive par auto. - La ville est morne, nous dit-il; on ne voit plus aucun habitant dans les rues. Des groupes de soldats stationnent devant les portes qu'on force et il ne ferait pas bon de les regarder. Plus de gaz, ni d'électricité.

Les gendarmes ont fait la récolte des volailles et des lapins. Les possesseurs de chiens, chats, perroquets, chèvres s'étaient empressés de faire passer de vie à trépas, le plus doucement possible, tous ces animaux familiers. Les vétérinaires étaient assiégés. On crève les plafonds pour chercher les cachettes. Aux alentours, les villages flambent.

M. Allard, de la Commission municipale, parti par le dernier train, obtient de descendre au Cateau pour laisser se reposer Madame Allard, souffrante; il rejoindra plus tard la municipalité à Maubeuge. - Pillage partout! S'écrie-t-il. J'ai dû m'enfermer dans ma chambre à coucher pendant qu'on vidait ma maison. Des soldats jetaient le mobilier par les fenêtres. Quand il n'est pas cassé, on l'aligne sur le trottoir, et camions, autos, voitures de déménagement l'enlèvent….. Et allez donc! Le quai d'attente à la gare est devenu un marécage. Les bagages y restaient enlisés. Convoqué à 9 heures du matin, nous avons attendu dans cette «badrouille» le train qui n'est parti qu'à 5 ou 6 heures du soir. Nous sommes arrivés au Cateau à minuit. À quelle heure mes pauvres camarades ont-ils débarqué à Maubeuge, c'est ce que je vous dirai plus tard.

Madame Jacquemin, qui n'a été évacuée que le 17 mars et qui a obtenu de rester au Cateau où elle a de la famille, nous raconte: - Le pillage se faisait ou méthodiquement ou au petit bonheur. Méthodiquement, c'était un officier qui, un trousseau de clefs à la main, s'arrêtait avec quelques soldats devant une porte. Il sonnait. Pas de réponse. Il essayait alors les clefs... Pas mal d'habitants avaient eu la naï;veté de les remettre à la kommandantur, croyant à une sauvegarde possible… Bref, le rossignol ne jouant pas, un levier faisait sauter le pêne. On entrait et des voitures à bras ou un camion s'arrêtaient devant la porte et le déménagement commençait… Au petit bonheur, c'était un groupe de soldats qui enfonçaient la porte ou brisaient une croisée et étaient alors maîtres de la place. Y a-t-il eu, Madame, à votre connaissance, beaucoup d'hommes et de jeunes gens qui, n'étant pas en règle avec l'autorité allemande, ont dû se rendre? - Oui, beaucoup. Certains ont pu passer dans le désordre du moment. Pas mal ont été arrêtés à la gare, surtout parce qu'ils n'ont pas su s'y prendre et se joindre d'autorité à des familles partantes. Le plus grand nombre enfin, cent cinquante ou deux cents, se sont rendus à la kommandantur, surtout pour ne compromettre personne et espérant que, dans ce désastre, on userait d'indulgence envers eux. Tel a été le cas de mon fils Robert et de son ami Marcel Milart qui, depuis le 23 septembre 1914, n'avaient pas mis le nez dehors. Ces pauvres garçons ont été emprisonnés à la caserne, puis envoyés sur les routes….. Nous devons tenir le record de la lenteur dans l'évacuation. Nous sommes, en effet, partis de Saint-Quentin le samedi 17 mars, à 11 heures du matin, dans des wagons à bestiaux et nous sommes arrivés au Cateau le dimanche, à 9 heures, soit vingt-deux heures pour faire trente-deux kilomètres!

Le 21 mars se présente à notre bureau "le dernier évacué de Saint-Quentin." Louis Hachet, lithographe, que les Allemands avaient gardé pour terminer quelque tirage. Il a quitté la ville le mardi 20 avec une file de chariots portant les papiers de l'A.O.K.2 (commandement suprême de la 2e armée.) Il nous dit: - Pillage partout! Des patrouilles essayaient d'y mettre de l'ordre, mais sans succès. Chez Farfelier-Devred, rue Saint-André, les pianos étaient sur le trottoir et des officiers les essayaient et faisaient leur choix. À la Basilique, tout gisait sur les dalles: chandeliers, nappes d'autel, crucifix. Les tuyaux d'orgue en métal étaient cassés et précipités sur le sol. Les petites cloches étaient décrochées. Je ne pouvais pas faire un pas dehors sans être accompagnéd'un soldat en armes. Il m'a dit que les obus anglais tombaient tout contre l'orphelinat Cordier. Le soir, l'horizon à l'ouest était rouge des incendies allumés par les Allemands. L'abbé Wehrlé a fait le dernier enterrement, seul avec le conducteur du corbillard et le mort. Que devint le cercueil au cimetière?

Je ne continue pas à relever des témoignages qui ne peuvent que se répéter.

NOTULES.

Le vidage d'une ville. - Afin de donner une idée de la perfection avec laquelle s'opéra le «vidage» de cinquante-cinq mille âmes, industrieuse et riche, je reproduirai une lettre relatant des faits postérieurs à la date où nous sommes, puisqu'ils sont d'avril 1918. En 1922, le ministère de l'intérieur, en réponse à je ne sais qu'elle prétention allemande, avait institué une enquête sur la dévastation des villes du front et j'avais été invité à déposer. Je m'étais entouré aussitôt de tous les documents possibles, dont une lettre de M. Georges Driancourt, membre de la Commission municipale et l'agent le plus actif du ravitaillement. Voici de cette lettre la partie qui nous intéresse:

«… Or, ayant appris, en avril 1918, à Maubeuge où j'étais évacué, que les prisonniers civils que les Allemands faisaient travailler en colonne à Saint-Quentin et dans les environs n'étaient presque pas nourris, les soldats volant une partie du ravitaillement que le Comité hispano-néerlandais envoyait à leur intention, je demandai à venir reprendre mon poste de délégué de la C.R.B. (Commission de ravitaillement belge) à Saint-Quentin, pour recevoir moi-même ce ravitaillement et le distribuer directement aux intéressés.

«Ce n'est toutefois, que le 28 juin 1918 que je pus revenir dans notre ville, accompagné de MM. Miaud et Bonnel, employés des contributions indirectes de Saint-Quentin, remplissant les fonctions de comptables de la C.R.B. et du jeunes Georges Gibert, comme interprète.

«Le comte von Bernstorff, qui était toujours commandant de place, me reçut le lendemain matin à l'Hôtel de Ville, dans le cabinet du maire, dont il avait fait son bureau, et consentit assez facilement à ce que mes collaborateurs et moi soyons absolument libres dans la ville et dispensés de saluer les officiers.

«De plus, il fit apposer, sur ma demande, au-dessus de la porte de notre magasin, un grand écriteau défendant aux officiers et soldats d'entrer sans ma permission expresse de la kommandantur.

«Vous pensez bien que, dans ces conditions, nous avons pensé tout de suite à sauver les beaux meubles et objets de valeur que nous espérions trouver dans les maisons non occupées par les Allemands et à les mettre en sûreté dans ce magasin; j'en avais prévenu le commandant qui avait paru trouver la chose toute naturelle.

«Or, la garnison de la ville faisait l'effet d'être peu nombreuse et les soldats logeaient plutôt dans les usines que dans les maisons particulières: c'est dire que nous aurions dû faire une ample moisson.

«Nos loisirs n'étaient pas nombreux, même le dimanche; mais chaque fois que nous pouvions sortir, nous entrions dans toutes les maisons qui n'étaient pas trop démolies et en faisions rapidement le tour, ce qui était d'autant plus facile qu'il n'y restait généralement ni portes, ni fenêtres; les portes des placards elles-mêmes avaient été enlevées.

«Eh bien! Malgré nos recherches, nous n'avons trouvé qu'une grande table d'architecte, une petite étagère de salon, une console avec dessus en marbre, quelques lits en fer, une glace, deux ou trois tables en bois blanc, des chaises ordinaires et un filtre en porcelaine. Nous avons remisé le tout dans notre magasin, après avoir apposé sur chaque objet une étiquette portant l'indication de la maison dans laquelle nous l'avions trouvé.

«Nous avions bien rencontré, par ci, par là, des bas de buffets sans portes, des commodes sans tiroirs, des poêles flamands, mais en trop mauvais état pour être conservés.

«Dans nos propres maisons, il ne restait également plus rien: chez moi, une armoire à glace sans porte et des débris de mon mobilier de salle à manger.

«Il était donc évident que les Allemands avaient enlevé tout ce qui avait quelque valeur et démoli le reste.

«Cependant, à voir le mobilier qui garnissait les postes de gendarmerie, nous devinions bien que tous les logements et bureaux occupés par les officiers étaient meublés confortablement avec les dépouilles de nos concitoyens, et les beaux meubles ainsi que les nombreux candélabres qui garnissaient le bureau du commandant en étaient également la preuve.

«Interrogés par nous, quelques prisonniers civils nous dirent avoir vu, en avril-mai 1918, l'avenue Faidherbe encombrée de cuisinières, de machines à coudre, de buffets, etc., rangés par catégories à droite et à gauche, sur le terre-plein et protégés par des bâches. Le linge, les draps, etc., étaient remisés dans la salle Flamant, rue de Paris. En somme, tout cela avait été rassemblé à proximité de la gare de Rocourt, et c'est par cette voie que l'enlèvement a dû s'effectuer.

«G. Driancourt.»

Et j'ajouterai que moi-même, quand je pénétrai, en novembre 1918, dans Saint-Quentin à la suite de l'armée Debeney, j'y cherchai, dans les ruines de quelques maisons amies, un souvenir à envoyer à ceux qui les avaient occupées: je ne pus trouver ni le plus humble bibelot, ni un livre, ni un mouchoir de poche.


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