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112 - Sous la Botte

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NOTULES.

Les bons comptes… – Madame Dugimont donnait quelques boulettes de riz aux prisonniers russes qui passaient dans le faubourg d’Isle. Elle fut empoignée et bousculée par un patrouillard qui l’emmena à la kommandantur., où elle fut condamnée à trois jours de cellule. Son mari avait été levé comme travailleur civil. Madame Dugimont était enceinte. L’émotion, la bousculade et le reste provoquèrent, le deuxième jour, une fausse couche. Il fallut bien la transporter à l’Hôtel-Dieu. Au bout de la semaine, la kommandantur l’estima remise et l’envoya prendre pour qu’elle purgeât sa peine et fit son troisième et dernier jour de cellule…..

Pour l’Allemagne. – Les Allemands qui partent en permission à l’occasion de la Noë;l – et ils sont nombreux – emportent des victuailles. L’un de nos garnisaires, officier des postes, a bourré sa valise de farine, de lard et de pommes de terre. Le capitaine V.M…., qui loge chez les Blondet et paraît assez cossu, a fait entrer dans une énorme malle quatre poules, deux canards, deux poulets, un gigot, un cul de veau, un jambon, quelques mètres de saucisse, du lard, des nouilles, du macaroni, du riz, des fromages, douze kilos de pommes de terre et du pain blanc et gris pour tout caler. C’est invraisemblable, mais c’est ainsi. Il demeure aux environs d’Aix-la-Chapelle et, quoique barbon, vient de se marier avec une toute jeune personne assez agréable, si l’on en juge par la photographie: ils auront de quoi festoyer ensemble. Mais la palme appartient au capitaine qui loge depuis cinq mois chez Madame Jean Lescot et qui se montre plus maniable que les brutes qui l’ont précédé. (Voir avril 1915: L’officier brasseur en chef.) Il a deviné, à de certains indices, que la cave n’était pas grattées, a dit un mot, les fouilleurs sont venus, ont trouvé et il s’est réservé sur le butin cinquante bouteilles qu’il a expédiées à «Madame la capitaine.»

Le salaire en peau de chagrin. – Ceci est très allemand. J’ai fait allusion à des civils belges et allemands venus à Saint-Quentin sur l’appât d’un gros salaire pour terrasser. Ils sont casernés à l’école Clin et on leur a joint des jeunes gens et des hommes, au nombre de quarante-neuf, levés, de ci de là, dans les villages et à qui l’on a promis un gros salaire aussi….. Ils n’en ont pas cru un mot, mais enfin ils ne sont pas trop malheureux, car la mairie s’occupe de leur ravitaillement et de leur couchage et ils ont deux heures de liberté par jour. Leur force morale est admirable. Je cause avec quelques-uns d’entre eux. Ils me répètent en riant les confidences que leur font leurs compagnons: le salaire de ceux-ci est bien de sept marks par jour, ce qui serait superbe, mais avec les retenues pour diverses précautions humanitaires et sociales, les amendes, le chômage, la nourriture – qui est infecte – et le reste, il leur est attribué royalement vingt-cinq sous… Ils voudraient bien s’en aller, mais comment? Quant aux Français, ils n’ont jamais rien touché, mais, disent-ils, nous en donnons aux Allemands pour leur argent.

Les tristes collaborateurs de la «Gazette des Ardennes.» – C’est un sujet que j’aimerais mieux ne pas aborder; il faut pourtant tout dire: ce journal infâme a trouvé des collaborateurs français! De pâles détraquées lui font hommage de poésies rances ou de rêveries pacificardes; des résidus de loge maçonnique laonnoise lui adressent des vitupérations affligeantes à l’adresse de M. Touron, sénateur de l’Aisne qui a le tort, paraît-il, de défendre au Sénat , la thèse de la résistance à l’ennemi; des partisans échauffés de l’honorable M. Ceccaldi, député de Vervins, nous y prédisent les pires malheurs si l’on néglige, même en pays envahis, le culte de leur idole; enfin à Saint-Quentin même, une campagne est menée contre la mairie par un agent de l’administration des ponts-et-chaussées qui a fait, par surcroît, le commerce de l’or et du sucre au profit des Allemands en association avec un raté besogneux. Le conseil municipal a dû prendre, à sa seule intention, une délibération platonique mettant les fonctionnaires à qui des avances étaient consenties en demeure de choisir entre l’exercice d’un commerce et leurs fonctions. Cet individu, qui ne vaut pas l’honneur d’être nommé, est «adjoint technique des ponts-et-chaussées, admissible conducteur.» Le proviseur du lycée étant seul évidemment à ignorer que ce conducteur est passé à l’ennemi sans vergogne, se carrant à la kommandantur et y touchant, devant témoins, les quatre sous de la ligne que lui vaut sa collaboration à la Gazette des Ardennes, a eu l’idée saugrenue de le prendre comme professeur de mathématiques!

Le traite est toujours méprisé par qui l’emploie. Mademoiselle Dony, se renseignant auprès du portier de la kommandantur, brave homme, poli par le frottement avec les clients innombrables et divers des hôtels suisses (Voir juillet 1915: À la kommandantur), sur le fait du fameux train d’évacuation toujours retardé, s’écrie: – La Gazette des Ardennes dit tout le contraire de ce que vous m’apprenez; vous ne la lisez donc pas? – Si vous croyez, Mademoiselle, répond l’autre, que je vais perdre mon temps à lireles articles de votre fonctionnaire? Vous n’y pensez pas! Au haut bout de l’échelle, le conseiller de justice, M. Vogt, n’a pas caché à M. Allard le dégoût que lui inspire l’individu. – J’espère bien que vous le fusillerez, lui a-t-il dit.

Les Allemands tuent l’année. – La défense de l’an dernier n’ayant pas été renouvelée, à minuit les Allemands «tuent l’année» à coups de revolvers et de pétards. Ce sont surtout les pétards qui font les frais de cette coutume bruyante. Tout à coup s’élève un chant religieux qui arrive jusqu’à moi, c’est le Choral de Luther entonné par des soldats et des infirmiers réunis à plusieurs centaines certainement dans la Bourse autour de l’arbre de Noë;l resté dressé. Au matin, l’on s’aperçoit qu’on a beaucoup bu partout, mais ce furent des manifestations de gaîté morne, une spécialité allemande.

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