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Les prix de Rome

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Les prix de Rome

Cette année deux saint-quentinois étaient en loge pour le prix de Rome, l'un à Compiègne, M. Marc Delmas, l'autre à Paris à l'école des Beaux-Arts, M. Gabriel Girodon.

La musique des jeunes concurrents n'a pas réussi à charmer ni à délecter (musica me juvat et delectat) les sévères auditeurs de l'Institut et les faiseurs de cantates ont pu chanter: «Nous n'irons pas à Rome, les lauriers sont coupés.»

Il en repoussera l'an prochain.

En peinture, le résultat ne parait pas enchanter les critiques.

Voici le thème qui avait été proposé aux crayons et pinceaux des dix logistes.

Etéocle et Polynice, fils d'Œdipe et de Jocaste, se sont livrés bataille sous les murs de Thèbes, et tous deux se sont donné mutuellement la mort. Informé de cette atroce nouvelle, Œdipe est sorti de son palais. Sa barbe et sa chevelure blanche, souillées de sang, ses joues creusées, les plaies béantes de ses yeux font de lui un cadavre vivant. Un bâton à la main, appuyé sur sa fidèle Antigone, il se dirige vers le champ de bataille. Un cri de sa fille lui apprend qu'il est devant les cadavres de ses fils. «Il se jette aussitôt sur leurs dépouilles glacées et les couvre de son corps, il pousse de douloureux gémissements en baisant leurs blessures sanglantes, il promène ses mains sur leur casque, il cherche leur visage».

Le texte de Stace est très émouvant. On voit d'ici le tableau de la belle lumière grecque baignant la scène limitée par les murailles en pierre et bois de la ville de Thèbes. Les deux frères unis dans la mort gisent, le corps exsangue mais vigoureux; leurs vêtements en lambeaux, le bris de leurs armes offensives et défensives attestent l'implacabilité de la lutte. Le vieil Oedipe s'affale sur leurs corps cependant que toute droite la lamentable Antigone pousse un hurlement vers le ciel.

Tout cela est un peu pompier, mais à défaut d'une réalité ou, si vous voulez d'un réalisme dont le sens échappe nécessairement à de jeunes peintres qui ne sont encore ni des penseurs ni des érudits, on peut y mettre de la grandeur et ça prête au «morceau», morceau d'anatomie, morceau d'expression.

Il ne paraît pas qu'aucun des concurrents ait réussi et Thiebault-Sisson, le critique du «Temps» dont l'autorité est considérable, demande qu'il en soit de la peinture comme de la musique, et que le prix de Rome soit remis à la prochaine année.

Le tableau de M. Gabriel Girodon est exposé quai Malaquais, à l'exode, sous le numéro 1 – ce qui n'a aucune signification au point de vue du prix – et le critique des «Débats» eu dit:

Le numéro 1, M. Girodon a fait un Oedipe d'école mais il a peint avec vigueur les deux corps inertes et le jury appréciera évidemment dans sa toile, quelques morceaux de nu assez habiles.

De l'avis de certains de nos concitoyens qui ont vu l'exposition, M. Girodon a quelques chances d'avoir le prix- si prix il y a – mais il aurait un concurrent sérieux dans M. Font, le n°10 et le plus jeune de tous.

En tout cas, on saura dimanche ce qu'il en retourne.

Journal de Saint-Quentin

Juillet 1912

BN. Fonds local

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