Nous l'avons déjà dit, mais nous y revenons car c'est un bel exploit.
Maurice Bienaimé est né à Saint-Quentin il y a moins d'une trentaine d'années, il est le fils de M. Bienaimé, notaire, étude de Me Griselin qui a laissé dans la société saint-quentinoise le souvenir d'un homme charmant.
Maurice Bienaimé, très sportif, s'adonna à l'aéronautique. Son premier voyage aérien date de 1906. Il avait déjà défendu les couleurs françaises dans la coupe Gordon-Bennett et avait accompli un très beau raid.
En 1911, pour la Coupe de la Motte-Breuil, il effectue le voyage de la Motte- Breuil à Riga, au-dessus de la mer Baltique.
Son endurance et son entraînement étaient au point. Et voilà comment le dimanche 16 octobre, Maurice Bienaimé, pilote de la Société aérienne de Picardie partait de Stuttgart (2200 m. c. portant la flamme verte aux lettre d'or de la S.A. P. 46 heures après, ils atterrissaient a Rubnoye près de Réjazaz, à 2200 kilomètres du point de départ. Il avait battu le record du monde en distance, détenu par Emile Dubonnet de l'Aéro- Club de France et gagnait la septième coupe Gordon- Bennett.
Voici le récit qu'il a fait de son voyage à un des rédacteurs de «Notre Picardie», la jolie revue amiénoise qui publie hélas! aujourd'hui son dernier numéro.
«La première nuit de notre voyage fut superbe. La pleine lune nous éclairait. A huit heures et demie, le lundi matin, nous franchissions Dresde à 1200 mètres d'altitude. Nous avions couvert le parcours Stuttgart- Dresde en seize heures à une vitesse moyenne de 25 kilomètres à l'heure.
«A ce moment ce que nous avions espéré, se produisit: le vent nous poussa dans une direction nord-est-est. Au coucher du soleil, nous nous mîmes au guide- rupe pour nous repérer. Nous étions à ce moment en Pologne russe et les paysans auxquels nous demandions des renseignements en langue allemande ne nous comprenaient pas. Près du sol, le vent comme lors de notre départ de Stuttgart, soufflait vers le nord.
A dix heurs trente du soir, nous apercevions les lueurs de Varsovie et toute la nuit notre altitude varia entre 2000 et 4000 mètres. La température était de 12 centigrades.
Mardi matin, vers six heures le temps se gâta. A 2000 mètres de hauteur, la neige tomba en abondance. Il nous restait vingt sacs de lest sur vingt-neuf que nous avions emportés. Il nous fallait tenir coûte que coûte car le vent s'était levé furieux et nous emportait à une vitesse supérieure à 100 kilomètres à l'heure. Nous fîmes donc des tas de tout ce qu'il nous était possible de jeter par-dessus bord – cône, ancre, bâche, bouteilles, verres, etc. Nous attachâmes au bout d'une corde dans une soute nos pardessus et deux bouteilles d'oxygène et tout les reste fut sacrifié. Nous montâmes à 3000 mètres. Nos estomacs – notre dernier repas remontait à minuit et nous n'avions rien- criaient famine. Qu'importe, il fallait continuer.
Mais tout à une fin. Surchargé de neige, pris dans une tourmente effroyable, vide de gaz, le ballon La Picardie faiblit et, à deux heures de l'après-midi, il commençait une descente vertigineuse et à une allure folle. Nous étions prêts à toute éventualité.
Le premier obstacle – une cabane- fut franchi en trombe, nous accrochions au passage la cime d'un arbre, nous touchions terre dans une prairie, le ballon faisait un bond dans l'espace et venait choir sur une rivière gelée.
Alors l'enveloppe éventrée prise dans le filet formant voile, nous faisant franchir haies, buissons, monticules de neige gelée, dispersant aux quatre vents nos agrès et nos instruments et ne s'arrêtant – dans sa course endiablée- que contre un rideau d'arbres. Le choc fut violent. Rumpelmaver eut les muscles d'une épaule froissés. Je reçus quand à moi de fortes contusions.
Nous étions à Rubnoye, près Rejazaz, à 2200 kilomètres du point de départ que nous avions quitté depuis quarante-six heures. Pour avoir le ballon, il fallut sous un froid de moins 16° abattre les arbres, tâche des plus pénibles.
« Nous fûmes admirablement reçus par les autorités et par la police, et les membres de l'Aéro- Club de Moscou nous quittèrent à la gare aux cris de «Vive la France!».
Les Saint-Quentinois félicitent, par notre intermédiaire, leur jeune concitoyen de son succès et de son audace réfléchie.
Nous disions que «Notre Picardie» d'où nous avons extrait le récit du voyage de M. Maurice Bienaimé en était à son dernier numéro.
C'est infiniment regrettable. Cette revue à la fois sportive, archéologique, très locale et très spirituelle, qui publie des chefs- d'œuvres d'humour avait six ans d'existence René Rausson, Pierre Dubois et quelques autres en furent les brillants chroniqueurs.
Les illustrations photographiques venaient d'objectifs artistes. Le papier et le tirage étaient luxueux.
Il est évident que cette belle publication devait coûter cher et malgré la générosité d'un mécène amiénois qui y consacrait et du temps et de l'argent, elle n'a pu durer mais elle disparaît au milieu d'une atmosphère de réelle et indiscutable sympathie.
Journal de saint-Quentin
décembre 2912
B.M. Fonds local.
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